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  • Jean-Michel Molkhou, Diapason/März 2019

"Un disque courageux et captivant"

A y regarder de plus près, le répertoire du trio à cordes est moins limité qu'on pourrait le croire. Il s'est en tout cas significativement enrichi au xxe siècle, comme en témoigne ce programme partagé entre trois pages méconnues et la célèbre Sérénade de Dohnanyi. Symbole parmi d'autres, les interprètes ont placé en tête le trio de Gideon Klein, assassiné à Auschwitz en 1944 à l'âge de vingt-six ans. Composé durant son long internement au camp de Theresienstadt - aux côtés de Pavel Haas, Viktor Ullmann ou Karel Ancerl - et achevé seulement quelques jours avant sa mort, l'œuvre évoque inexorablement le désespoir de ce jeune juif tchèque. On percoit, à travers ses harmonies rugueuses, sa texture étouffante et les rythmes obstinés de l'Allegro, l'influence de Janacek, mais aussi celle de Schönberg. Les variations sur un chant populaire morave (deuxième mouvement) expriment les mouvements d'une d'âme en révolte, avant que la mélodie grinçante et froidement mécanique du finale ne transcrive l'inexorable perte de tout espoir. Le Trio Goldberg, formé de trois membres de l'Orchestre philharmonique de Monte Carlo, en livre avec conviction l'atmosphère tour à tout oppressante et déchirante. Presque aussi sombre, le trio de Weinberg (1950) traduit aussi à sa manière l'art de survivre grâce à la musique. Victime de la férocité de l'antisémitisme stalinien, le compositeur fut emprisonné, et c'est de cette période cauchemardesque que date son Opus 48. Dans un langage ironique, sarcatique ou désolé souvent, très proche de celui de Chostakovitch avec lequel il fut lié par une longue amitié, l'œuvre connaît ici une interprétation sensible et inspirée, exellente alternative à la version de Gideon Kremer (ECM, 2013) Le trio de Jean Cras (1926) évolue dans une atmosphère infiniment plus joyeuse. Harmoniquement marqué par Debussy, il se montre souvent déconcertant par ses audaces comme par la multiplicité de ses influences, orientales dans le mouvement lent ou celte dans le finale. Son vigoureux scherzo ponctué de pizzicatos s'avère particulièrement original. On ne présente plus la Sérénade de Dohnanyi, chef-d'ouvre de 1902, à la fois d'une grande exigence instrumentale et d'une stupéfiante richesse mélodique. Sans atteindre la prodigieuse perfection plastique des deux versions de référence signées Heifetz/Primrose/Feuermann (RCA 1941) puis Perlman/Zukerman/Harrell (Columbia 1978), les interprètes en habitent avec talent, goût et virtuosité les cinq mouvements. Un disque courageux et captivant."

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