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  • Bénédicte Palaux-Simonnet

"Ce tempérament positif et énergique allié à une remarquable technique...

A l’aube de ses dix-huit ans, la violoniste Anna Schultsz présente, sous le titre «Mouvements», un récital audacieux: deux pièces de bravoure encadrant les sonates de Franck et Fauré en la majeur, fleurons de la musique de chambre française mais antérieurs d’une cinquantaine d’années. Tant d’archets de légende ont fait vibrer ces pages admirables que l’on attend forcément beaucoup d’une nouvelle version.

D’autant que, « première mondiale», la partition de Tzigane se présente sous un jour renouvelé avec la version révisée sous la direction de François Dru pour l’Edition Ravel. Celle-ci se réfère à un manuscrit violon et piano (avec partie de luthéal) portant la mention «Londres, Paris» «Avril-mai 1924», retrouvé dans les Archives du Palais de Monaco. (...)


D’après l’enregistrement présenté ici la partition semble suivre, à de légers changements rythmiques et harmoniques près, celle habituellement jouée. Toutefois, la place laissée à l’interprète reste cruciale. En effet, ce sont des improvisations tziganes jouées à la demande de Ravel pendant toute une nuit par la violoniste Jenny d’Aranyi qui inspirèrent Tzigane. Aussi l’indication «quasi cadenza» - tout est dans le quasi!- place-t-elle l’interprète devant un paradoxe: trouver la liberté dans l’exactitude.

Par ailleurs, ces pages que l’auteur qualifiait de «pas grand chose», du «nanan» (une friandise), se rattachent à d’autres sources d’émulation. En effet, à Londres en avril 1922, Ravel avait assisté aux créations anglaises des deux sonates de Bartok par la violoniste hongroise avec l’auteur au piano. A ce moment là, lui-même différait sans cesse la composition d’ une sonate violon-piano destinée à la violoniste Hélène Jourdan-Morhange créatrice de sa Sonate pour violon et violoncelle, de telle sorte que Tzigane apparaît, à tous points de vue, comme une «évasion»....

Ainsi naquit-elle sans doute sous l’archet ailé de Jenny d’Aranyi. Les rares enregistrements consultables de cette dernière (Chaconne de Vitali, Scènes de la Csarda de Jenö Hubay aux côtés de Szigeti) laissent entrevoir quelques unes des caractéristiques qui envoûtèrent, à juste titre, ses contemporains : intensité expressive, legato galbé, légèreté d’ ornements quasi dansants portés par un son soutenu, profilé, beau et simple… et l’abîme entrevu d’une âme souffrante.

Ici, le violon d’Anna Schultsz irradie une sonorité assez diffractée, éclatante et soyeuse qui charme immédiatement. Son jeu très timbré, proche de la voix humaine, ne craint pas le rubato (indication supplémentaire inédite ?) et reste à prudente distance de la nostalgie d’Europe centrale.

Ce tempérament positif et énergique allié à une remarquable technique, s’ébroue chez Franck et Fauré voire Ysaÿe avec un beau naturel. Au piano, Gérard Wyss, lui offre une stabilité rythmique et une présence harmonique amplifiées par des graves aussi insistants que sombres (Franck). S’il sécurise sa partenaire, il ne la pousse pas non plus à sortir d’une approche un peu scolaire, à prendre des risques et accéder à une maturité artistique encore en devenir.


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