"Peu importe finalement cet éclectisme musical spatio-temporel. Dans ce périple Paris-Moscou, de bienheureuses étapes nous rassérènent après des trajets plus accidentés. La composition de S.I. Tanaïev n’est ainsi pas de tout repos: ténébreuse, répétitive jusqu’au malaise comme si le compositeur ne parvenait pas à surmonter son accablement. Étonnant pour un élève de Piotr Ilitch Tchaïkovski dont il n’aurait pas su – ou voulu – s’inspirer : à l’exception d’un vivace très court et brillant dans le deuxième mouvement « variations », pas d’éclat ni d’exubérance mais une énergie rentrée, comprimée et investie sur le seul versant de Thanatos : l’ombre de la 1re Guerre mondiale serait déjà tombée sur le moi de l’auteur. Le scherzo de Jean Françaix nous ballotte en revanche gaiement entre rythmes différenciés, pizzicati syncopés et mélodies sautillantes. Les toutes premières notes de l’andante ressemblent à s’y méprendre à une voix humaine tandis que le rondo devient une cavalcade désopilante, débordante de facéties: ludique et revigorant comme un morceau destiné aux enfants et qu’on écoute avec un imparable sourire aux lèvres ! Sublime interprétation par ailleurs du Trio Goldberg pour la pièce de Haydn qui vient délicieusement flatter la conformation musicale classique de nos oreilles. Kodály et son ostinato invitent ensuite à partager, entre chants traditionnels hongrois et influence brahmsienne, un Intermezzo digne d’une promenade champêtre qui s’ennoblit progressivement – sans jamais disparaître complètement – d’une mélodie plus dense pour terminer sur un accord évanescent de sol majeur. Après un retour au classicisme absolu de la forme sonate avec Schubert, la pérégrination s’assombrit à nouveau avec les accords crépusculaires et dissonants doublés des ruptures rythmiques de Danse, avant-dernière œuvre de Hans Krása « probablement composée en 1943 pour un trio à cordes interné à Theresienstadt » nous précise le livret. Tout comme leur dernier album passait de l’ombre à la lumière, Liza Kerob, Frederico Hood et Thierry Amadi, respectivement Supersoliste, 1er Alto Solo et 1er Violoncelle Solo au sein de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, clôturent leur travail par cette radieuse Aubade matinale de George Enescu dont la destinataire, peut-être de sang royal, demeure de nos jours encore l’objet de spéculations.